Comment se porte l’actuelle économie argentine comparé à celle d’autres pays d’Amérique centrale ou du Sud ?
En ce moment notre économie se porte aussi mal, voire même plus mal, que celle des autres pays d’Amérique Latine. Ce qui est notable, c’est que, bien que notre économie soit au plus mal, le niveau culturel de notre classe moyenne (bien que devenue pauvre dans sa grande majorité) est relativement haut en comparaison des autres pays d’Amérique Latine. C’est parce que vous pouvez apprécier leur haut niveau culturel, bien qu’ils soient tombés de l’échelle sociale, que l’effet résiduel de ce qu’était la vie avant décembre 2001 est encore présent. La plupart ont conservé leur relativement belle maison, de bons vêtements, leur voiture qu’ils avaient achetée en 2000, et l’éducation en école privée.
Après encore quelques années la transition de la classe moyenne à la classe pauvre sera plus remarquable. La plupart ne sera pas capable de prendre soin de la maison comme elle le devrait, beaucoup devront la vendre, les voitures vieilliront et la plupart ne pourra pas en acheter de neuves de bonne qualité, et leurs enfants devront aller dans les désastreuses écoles publiques. La génération suivante, celle qui sera incapable de se payer la même éducation que ses parents ont eu, rendra le changement encore plus visible.
Cela n’arrive pas en 24 heures, mais nécessite plusieurs années. Vous voyez plus d’enfants dans les rues, plus de clochards. Vous voyez plus de prostituées dans les rues chaque année. Vous les voyez là où il n’y avait personne auparavant. Les restaurants, les bibliothèques et les théâtres ferment, remplacés par des boîtes de strip-tease, des maisons closes, des échoppes à loterie, des casinos, etc.
« Avant l’effondrement, l’économie argentine se portait-elle mieux que celle des autres pays d’Amérique Centrale ou du Sud, ou était-ce pire ? »
C’était de loin le meilleur pays d’Amérique Centrale et du Sud. Dans les années 90 notre classe moyenne était plus riche que la classe moyenne américaine. Regardez seulement ce qu’était le revenu moyen en dollars des classes moyennes argentine et américaine dans les années 90. Nos économistes font allusion à la décennie de "l’argent facile" quand ils font référence aux années 90. Vous devez comprendre qu’avant décembre 2001 nos salaires étaient en dollars US, et qu’un type qui gagnait 3000 pesos par mois gagnait 3000 US dollars. Mais après décembre 2001 la dévaluation a mis le peso à un taux de trois pesos pour un USD. Ce qui veut dire que désormais vous gagnez 3000 pesos, mais ce sont seulement 1000 USD. Et les prix ont augmenté de 300%, rejoignant le dollar. Aussi maintenant votre salaire achète seulement un tiers de ce que vous aviez l’habitude d’acheter.
Imaginez que cela vous arrive aujourd’hui, que feriez-vous si votre patron amputait votre salaire à un tiers de ce qu’il est ? Comment survivriez-vous ? Effrayant, n’est-ce pas ? C’est pourquoi durant des mois après la crise de décembre 2001 les trains ont été hors service la plupart du temps : chaque matin (3 sur 5 les jours ouvrés) quelqu’un se suicidait en se jetant sous un train.
« Si vous aviez une baguette magique et pouviez résoudre seulement un problème, lequel serait-ce ? »
Facile, j’éliminerais la corruption. La corruption est la racine de toutes les misères des pays du tiers-monde.
L'emploi dans une société en rupture de normalité
J’aimerais dire que si vous êtes spécialisé dans une activité de négoce X ou Y, vous êtes préservé du chômage, mais ce n’est pas vrai. Une crise économique aux USA ne serait peut-être pas aussi terrible qu’elle ne l’a été ici, mais si la situation se dégrade autant, ce sera horrible.
La vie n’est pas juste en général. Mais en rupture de normalité, c’est pire. Ce qui veut dire que les services étatiques ne seront pas là pour vous protéger mais ils seront là à coup sûr pour vous poursuivre en justice. Ce qui veut dire que même si vous payez vos impôts et taxes, vous devrez également payer pour une assurance médicale privée, parce que la sécurité sociale à laquelle vous cotisez ne vaut pas un clou. Ce qui signifie que vous pourriez finir en prison, même innocent, et que vous ayez à y passer 2 ans jusqu’à ce qu’un juge décide que vous n’avez pas bénéficié d’un jugement équitable et vous dise « oups, finalement j’imagine que vous êtes innocent, après tout ». Et la même chose arrive avec le boulot.
Vous pouvez être une personne ayant réussi, avec un diplôme universitaire et des décennies d’expérience dans les entreprises internationales les plus renommées, et vous vous retrouverez au chômage passé 50 ans. Ceci est arrivé à mon père, un des meilleurs managers du pays, qui enseignait le management partout dans le monde, de l’Amérique du Sud au Japon, des USA à la Grande-Bretagne. Il s’est retrouvé un jour au chômage, et a déménagé en Espagne, comme des milliers d’autres, où quelqu’un lui a offert un emploi. Oui, certaines carrières et compétences ont plus de travail que d’autres. Les docteurs, soudeurs, charpentiers, comptables, managers, avocats… peuvent tous trouver un emploi, bien que les comptables, managers et avocats doivent chercher plusieurs mois ou années durant avant qu’ils puissent trouver un emploi payant suffisamment pour survivre.
Ayez à l’esprit que le chômage atteint ici environ 20-25%, même plus si vous prenez en compte le les personnes sans aucune activité professionnelle dans les 4 semaines précédents le recensement, que le gouvernement considère comme population active. Il y a beaucoup de travailleurs qualifiés attendant à la queue leu leu, volontaire pour travailler pour des cacahuètes. Et considérez également que même selon les chiffres officiels (qui sont favorablement super exagérés) la moitié des actifs gagne moins de 170$ alors qu’une personne a besoin, au minimum, de 350$ pour survivre. Et je parle de survivre chichement, oubliez l’idée de posséder une voiture, d’avoir une assurance médicale privée ou une vraie éducation : 350$ sont à peine suffisants pour mettre un toit minable sur votre tête et de la nourriture de mauvaise qualité sur votre table. Si vous voulez accéder à un niveau de vie standard normal, avec voiture, accès internet, voisinage correct, viande à volonté et une éducation quelconque, on parle alors de 700$ mensuels par personne.C’est aussi pour cela que la situation dans ce pays est celle que je décris, les gens ne gagnent pas assez pour vivre comme des gens normaux, la plupart vivant comme des animaux. Seulement 3% de la population gagne plus de 1500$ par mois. Le seul moyen de vivre est de posséder sa propre société. Posséder de larges étendues de terres et produire des produits alimentaires a permis à la haute société de rester riche aussi longtemps que je puisse me souvenir.
Les fermiers possédant de vastes terres seront à coup sûr riches s’ils savent comment gérer leurs affaires. Les petits fermiers seront avalés par les plus gros au bout d’un certain temps. Le reste de la société riche dans mon pays est constitué soit de politiciens, soit d’hommes d’affaire ayant trouvé le moyen de tirer profit de la misère des autres. Ou alors ceux qui savent gérer leurs investissements, comme mon père l’a fait, investissant dans d’autres pays, achetant et vendant des propriétés, utilisant leur tête pour faire travailler leurs économies à leur place. L’astuce est de ne pas rester limité à un pays. Il aurait investi seulement en Argentine, il serait à la rue aujourd’hui, ainsi que moi-même et le reste de ma famille.
Gagnez autant d’argent que possible dans votre emploi actuel, ayant une compétence, c’est toujours utile, même en tant que loisir (j’essaierais la mécanique, le soudage et la réparation de machines en général), et investissez judicieusement autant que vous le pouvez. Ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier. Ayez du liquide et de l’or, et bien sûr, préparez-vous a minima pour éviter d'être un mouton.
Le vrai joyau, la vraie poule aux œufs d’or dès qu’il est question de rupture de normalité serait cela : ayez un ami cher ou un membre de votre famille dans un autre pays, sur lequel vous pourriez compter. Comme beaucoup l’ont découvert, et comme je l’ai découvert, la meilleure, et ultime, solution à un pays s’effondrant en morceaux est d’émigrer dans un autre pays. N’ayez pas peur de faire cela si nécessaire. Vous êtes peut-être un patriote souhaitant "tenir la place" jusqu’à la fin, je respecte cela. Mais quand il n’y a pas de solution, je préfère m’échapper. "Un soldat qui fuit vit pour combattre un autre jour".