Malheureusement, cette crainte était justifiée. Au crépuscule, un policier est arrivé, a pointé son flingue sur nos têtes et a hurlé : "Descendez de cette putain d'autoroute." Un hélicoptère utilisa le vent qu'il créait pour faire s'envoler nos abris maigres. Pendant qu'on battait en retraite, le policier a rempli son camion avec notre nourriture et notre eau. Une fois encore, sous la menace du pistolet, nous fumes forcés de sortir de l'autoroute.
Tous les agents des forces de l'ordre se sentaient menacés lorsque nous nous assemblions en groupes de 20 ou plus. Dans chaque assemblée de "victimes", ils voyaient des "émeutiers." Nous nous sommes sentis sécurisés en étant nombreux. Notre désir de "rester tous ensemble" rencontrait l'hostilité des pouvoirs publics qui nous forçaient à nous atomiser par petits groupes.
On s'était de nouveau éparpillé, notre camping étant détruit. Réduit à un petit groupe de huit, dans le noir, nous avons cherché un abri dans un autobus scolaire abandonné, sous l'autoroute. Nous nous cachions des éléments criminels mais également et définitivement nous nous cachions des policiers avec leur loi martiale, leur couvre-feu, et leur procédure de "tirer-pour-tuer".
Les jours suivants, notre groupe réduit à 8 personnes, qui marchait pratiquement toute la journée, a pris contact avec les pompiers de la Nouvelle-Orléans et a été sauvé par un hélicoptère d'une équipe de sauvetage urbain. Ils nous ont laissés près de l'aéroport et on a réussi à s'y faire amener par la Garde nationale. Les deux gardes étaient désolés pour la réponse bornée des gardes de Louisiane. Ils ont expliqué que la majorité de leur unité était en Irak et qu'ils n'étaient pas suffisamment nombreux pour accomplir tout le travail assigné.
Nous sommes arrivés à l'aéroport le jour où une grosse opération d'évacuation par les airs démarrait. L'aéroport était devenu un nouveau Superdome. Nous étions huit, pressés de toutes parts par une foule d'hommes tandis que les vols furent suspendus pour plusieurs heures afin que George Bush puisse atteindre l'aéroport et se faire photographier.
Après avoir été évacués par un avion des gardes-côtes, nous sommes arrivés à San Antonio, Texas. Là-bas continuaient l'humiliation et la déshumanisation des opérations de secours officielles. Ils nous ont mis dans des cars et nous ont conduits dans un grand champ où ils nous ont faits nous asseoir des heures durant. Certains autocars n'avaient pas de climatisation. Dans le noir, on était des centaines à être obligés de partager deux toilettes portables qui débordaient.
Ceux qui ont réussi à sortir de la ville avec des bagages (souvent juste quelques trucs dans les sacs plastiques déchirés) étaient soumis à deux fouilles différentes avec des chiens. La plupart d'entre nous n'avait pas mangé de toute la journée car nos approvisionnements avaient été confisqués à l'aéroport parce qu'ils déclenchaient les détecteurs de métaux. Pourtant, aucune nourriture n'a été prévue pour les hommes, femmes, enfants, gens âgés et handicapés tandis qu'ils restèrent assis des heures en attendant d'être vus par un médecin qui confirmera qu'on ne transportait pas des maladies contagieuses.
Cette réception officielle contrastait beaucoup avec la réception chaleureuse et sincère que les Texans ordinaires nous avaient offerte. Nous avons vu une employée d'une compagnie aérienne donner ses chaussures à quelqu'un qui allait pieds nus. Les étrangers dans la rue nous ont offert de l'argent et des articles de toilettes avec des mots de bienvenue.